ODETTE DUCARRE

 

ET

 

L'ARCHITECTURE (Le Jas du Revest Saint-Martin)

       

 

 

Il y a cinq ans, le Jas n’était qu’un amas de ruine. Les figuiers et les chênes avaient écarté de leurs bras tous les murs des maisons et percé les toits. Partout, le roncier était maître de la terre sèche, âpre et chargée de senteurs sauvages. Mais il y avait le vent descendu de la montagne du Lure et qui froissait au passage le ciel de lumière. Il y avait sa plainte dans les grands marronniers où tout un monde d’oiseaux retenait son souffle. Et puis, sous la sauvagine gourmande, subsistait ça et là le tracé de venelles. Ici, la terre était encore noire devant le four; là, il y avait une marche usée, plus loin, une araire à demi enterrée.
La vie.
Le vie arrêtée depuis près d’un siècle et qu’il fallait retrouver, dont on pouvait encore suivre la trace. Peut-on rétablir les liens rompus ? Peut-on raccorder les maillons d’une chaîne si longtemps abandonnée ?
Pour réussir cela, il faut la volonté de ne rien négliger, de ne rien détruire, et celle, surtout, de résister au désir de « reconstituer ». Robert Morel et Odette Ducarre allaient s’atteler à cette tâche et réussir un sauvetage qui ne ressemble à aucune autre. Car on ne sauve pas des pierres si l’on ne sent pas ce qu’elles sont, ce qu’elles peuvent exprimer; si l’on a su évaluer le poids de chaleur humaine qu’elle portent en elle.
En ce lieu que la nature avait repris, il y a eu la vie. Le vie des hommes entre le ciel et la terre, avec la récolte et la peine. Plus de quatre-vingts personnes habitaient là, autour du four banal et de la forge, dont l’enclume sonnait claire comme un clocher en fête. Et puis, vers l’en 1400, la peste vint qui ne laissa derrière elle que des morts. Un demi-siècle coula, habité seulement de soleil et de vent et, de nouveau, des hommes s’installèrent, remontant leurs maisons sur des ruines. Ensuite, bien plus tard, ce fut pour les paysans d’ici l’appel de la ville, de la vallée plus riche.
Plus riche ? Mais où sont donc les vraies richesses ?

Extrait de « Jardin des arts », N°135

 

"(...) ce qui allait totalement modifier l'existence de la maison d'édition, ce fut son départ de Paris vers la province. Robert Morel connaissait bien le midi, il y avait vécu et en avait gardé peut-être le regret. Un voyage en Provence d'Odette Ducarre entraîna la décision. Elle venait de recueillier un petit héritage à la suite de la succession de son père et, dans l'enthousiasme, le couple acheta un hameau en ruines, le Jas du Revest-Saint-Martin, à huit kilomètres de Lurs et à douze de Forcaltier. Peu à peu, les maisons furent relevées, selons les plans d'Odette Ducarre. Le transfert s'effectua, semble-t-il, au printemps 1962. "

Extrait de "Carrière et production d'un éditeur moderne" par Anne Sauvy

 

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« (...) C’est également vers 1960 qu’Odette Ducarre prend la décision de quitter Paris pour aller s’installer en Haute-Provence, dans la région sauvage, mystérieuse et grandiose de Forcaltier. Le Jas du Revest Saint Martin, le village qu’elle achète là-bas, n’est plus guère qu’un nom et, sur une pente, quelques tas de pierres sèches grouillants de lézards et de scorpions. En ce lieu isolé où le manque d’eau et l’ennui avaient depuis longtemps fait fuir les derniers habitants (et le temps, seul occupant, le temps à qui tout revient de ce que nous jetons ou délaissons, s’était emparé des maisons, crevant la lose des toits, ouvrant des lézardes dans les murs, griffant ici, mordant là, pesant sur les charpentes, précipitant les poutres sur les planchers et les étages sur le sol avec cette patiente fureur qu’il sait déployer pour venir à bout des œuvres humaines, de Babylone à la plus humble cabane de berger), en ce lieu offert aux vents face à un merveilleux mais austère paysage de montagne, elle choisit de bâtir sa maison et son atelier, reconstruisant en fait la totalité du village au prix de difficultés infinies et réussissant le miracle de préserver l’aspect ancestral et régional de l’architecture extérieure (un village qui existe depuis toujours, naturellement inscrit dans le ciel, façonné par l’air, le soleil, la pluie, la neige, et qui pourtant n’était que décombres il y a quelques années) tout en recomposant selon un style et avec des matériaux « modernes » l’espace intérieur de chaque bâtiment. (...)»

Marc Alyn "Odette Ducarre ou les murs de la nuit"

 

 

photos de Pierre Joly et Véra Cardot