ANDRE
DE RICHAUD |
||||
LA CREATION DU MONDE - LA DOULEUR - IL N'Y A RIEN COMPRIS - JE NE SUIS PAS MORT - JE NE SUIS PAS MORT - LA NUIT AVEUGLANTE - LE A ANDRE DE RICHAUD ROBERT MOREL PARLE D'ANDRE DE RICHAUD " Tout le monde m'avait dit qu'André de Richaud était mort. J'aimais André de Richaud depuis très longtemps, depuis le jour où Anne Seghers m'avait fait cadeau du soleil, et de ses amis, à Villeneuve-lès-Avignon. J'avais lu La Création du monde. J'avais lu tout André de Richaud. Nous n'avions pas encore cent ans. Je découpais et collectionnais ses poèmes bucoliques et ses nouvelle fantastiques qu'on trouvait quelquefois dans les revues de l'époque (Poésie 43, Confluences...). Je n'étais l'éditeur de personne. Nous nous étions rencontrés chez l'un de nos éditeurs, Robert Laffont, à Paris. Je vivais alors assez loin du monde, symboliquement, en Grande-Chartreuse. André de Richaud m'annonça qu'il viendrait un jour vivre chez moi, si je voulais bien : qu'il ne voulait pas continuer à mourir, que je pouvais l'empêcher de mourir de soir, de solitude et de tristesse... Mais il n'est jamais venu de rejoindre dans les montagnes. Puis - quand je cherchais de ses nouvelleS - on me répondait qu'André de Richaud était probablement mort. Je lui écrivais n'importe où : rue des Cannettes, chez Grasset, à Valauris. Mes lettres ne me revenaient pas; mais tout le monde me disait qu'André de Richaud était mort. 1963. C'est trois ans déjà ! J'étais devenu éditeur. Je m'étais mis en tête de devenir l'éditeur d'André de Richaud, de Jean Cabriès, de quelques autres... Un jour, au Jas, j'en parlais à Hélène Martin. Son guitariste, Yan Gaël, l'accompagnait. Il est calme et discret. Il sursauta. Il venait de rencontrer André de Richaud dans un bistrot de la Côte. Je le suppliai de le retrouver, de lui dire que j'étais là, qu'il m'envoie un manuscrit, que j'étais son ami, que j'étais d'avance son éditeur. Trois jours plus tard, je recevais, dans une grande enveloppe sale à l'écriture aisément reconnaissable, dansante, ensoleillée, un manuscrit en mauvais état, le genre de manuscrit sans espoir. Le titre : Je ne suis pas mort. Je l'ai immédiatement publié. Tout le monde a dit alors qu'André de Richaud n'était pas mort : Ce fut son jour de gloire. Je l'ai rencontré ; je suis allé ; il est venu. Bien sûr qu'il n'était pas mort ! Haut. Voix forte. Gorge chaude. Langue assoiffée. Mains vivantes, oiseaux de nuit. Un corps immense, plein de souvenir. L'oeil prudent, mais allumé au bon endroit. Amoureux. Rivé à ses vrais amis : Ginette Voiturin, Michel Piccoli, Jean Denoël. Jeune. Sachant offrir parce qu'il savait mendier. Menteur comme tout homme du Midi. Fabuleux. Inventeur. N'emm... pas le monde avec ses vraies difficultés (« quand naît-on ? » notait-il pour soi-même), partageant seulement ses difficultés domestiques, celles qui font jaser les gens. Riche, toujours riche de tout, comme à vingt ans. Il était beau ainsi. Oui, André de Richaud ne pouvait plus mourir. Il avait retrouvé le courage, la patience et la force d'écrire. Chaque semaine, il m'envoyait les dernières pages d'un nouveau livre où la confession (comme dans Je ne suis pas mort) virait au roman quand la confession apparaissait dangereuse. Il avait intitulé ce livre dont nous nous étions fixés tous les deux la publication avant la fin de l'année : La Nuit de Carpentras La nuit, c'était une seule nuit. Une insomnie où, seul, sur un banc ou dans son lit - il disait que la position faisait changer les couleurs des rêves ou des souvenirs - on fait le tour de sa vie, laissant défiler ceux qu'on a connus, qui vivent pour nous, qui meurent pour nous. Quand André est parti pour la clinique Saint-Eloi, il avait abandonné sur sa table, pour moi, trois pages. Elles seront donc les dernières. Sur la première ligne d'un papier à lettres, il y avait aussi quelques mots inachevés, où j'ai bien retrouvé notre ami à la fois si triste et si joyeux qui, au passage difficile, a le bon sens de plaisanter et de nous tapoter dans le dos - faut pas pleurer, mon éditeur - tout panache et toute tendresse. Ses derniers mots : « Madame, c'en est fait. » " Extrait du journal "Les Nouvelles Littéraires", 10 octobre 1968, N°2142, page 2
|